|
Pour
Lire |
||||||||
|
|||||||||
|
|
|
|||||||
|
|||||||||
|
La chaîne « éducative » La Cinquième vient de confier une série documentaire de vingt-six épisodes de treize minutes à deux jeunes réalisateurs talentueux : les très nécessiteux Alexandre Adler, directeur éditorial de Courrier international, et Jean-Marie Colombani, directeur du Monde (alias Raminagrobis, directeur du quotidien vespéral des marchés, le QVM). Depuis vingt ans, la bourgeoisie réserve le domaine de l’histoire à ses féaux les plus zélés. Ceux qui ne cessent de psalmodier que les grèves mènent au goulag et que seul le capitalisme permet d’engraisser dans la joie. Le narrateur de ces récits télévisés entrecoupés d’entretiens est Alexandre Adler, dont l’histoire retiendra peut-être le sobriquet ciselé par certains correspondants étrangers de Courrier international, « Triple-Crème », moins à cause de son caractère – réputé acariâtre – que de son goût immodéré pour les plats en sauce. Si les lecteurs de PLPL connaissent bien les frasques de « Ramina », certains ignorent encore le vrai talent d’Alexandre Triple-Crème : impressionner les gogos en racontant des histoires abracadabrantes, mais avec un sérieux d’évêque. Triple-Crème adore les puissants : il s’est proclamé « clintonien fanatique » pendant la présidence Clinton – « sa politique a laissé s’accomplir la marche à l’euro. Il mérite qu’on le défende : il en va de l’avenir de la démocratie en Occident 1 ». Puis il a mendié Matignon pour être, en compagnie de la Laisse d’Or de ce numéro de PLPL (lire p. 1), l’« invité personnel » de Lionel Jospin au séminaire des sociaux-renégats de Florence en novembre 1999 2 ; un an plus tôt, il avait parrainé, avec Isabelle Juppé et Alain Minc, un « Observatoire de l’extrémisme ». Adler sera bushiste, bayroutien ou sarkozyste si ses repas d’affaires l’exigent. D’ailleurs, impatient de se faire inviter à la Maison Blanche, il fait déjà la retape de l’assassin niais du Texas : « Bush n’est pas celui qu’on croit. 3 » En attendant d’aller dévorer des hamburgers-frites à Washington, Triple-Crème est un médiavore parisien plein de surface : le samedi, il jacasse sur France Culture avec Raminagrobis-Colombani ; le mardi, il se dandine sur Arte ; la chaîne Histoire lui aurait réservé un lit de camp à double ressort près des studios ; il fait également office de conseiller à Historia ; enfin, c’est l’un des « éditorialistes associés » du Monde. Dernièrement, Triple-Crème n’était pas dans son assiette : sans doute un peu barbouillé, il s’étranglait contre « les violences agitatoires des illuminés communautaristes de Seattle et de Prague, […] le cartel populiste Vénézuela-Cuba-Haïti, […] les josébovistes et autres adeptes du Falunqong… » (Le Monde, 23.11.00) C’est donc à ce grand dissident des ondes que La Cinquième a décidé de confier une série d’émissions consacrée à l’histoire de la Cinquième République 4. Avec son ami Ramina, Alexandre ne pouvait pas décevoir. Il n’a pas déçu. Chacun des vingt-six épisodes repose sur l’interview d’« un grand témoin ». Vingt-six témoins et combien d’ouvriers, de syndicalistes ou de communistes ? Très précisément zéro ! Peu importe, plusieurs des convives de Raminagrobis et de Triple-Crème connaissent de très près le monde du travail : Raymond Barre, Jean-Claude Trichet, Jack Lang, Édouard Balladur, Daniel Cohn-Bendit. Sans oublier Alain Juppé, BHL et son attaché de presse moustachu, Edwy Plenel, Roi du téléachat sur LCI. Pour présenter sa série, La Cinquième précise : « L’entretien est conduit par Jean-Marie Colombani, dans un lieu propice à créer une ambiance chaleureuse [sic], voire de confidence : domicile, salon personnel… 5 » En réalité, l’histoire des quarante dernières années recoupe comme par miracle le carnet d’adresses de Ramina et de Triple-Crème. Le 11 janvier dernier, la série a commencé par le plan Barre. Colombani raffole de Raymond : « L’homme pour qui j’ai eu beaucoup de sympathie, c’est incontestablement Raymond Barre qui à mes yeux alliait beaucoup de la rigueur d’analyse et du courage politique. 6 » Quant à Adler, il délire : « Raymond Barre va inaugurer la politique financière moderne de la France. Il combat en quelques mois, pour la première fois depuis 1945, la dépréciation du franc et le déficit budgétaire, il stimule fortement le commerce extérieur et il ose même bloquer les salaires pour casser les anticipations inflationnistes. » Éberlué par tant de complaisance et de connivence, Barre soupire qu’en matière d’emploi « les résultats ont été favorables », et qu’il aurait conduit « une politique dans laquelle, au fond, les gens avaient confiance ». À
l’heure où la dénonciation de la pédophilie est à la mode, PLPL
frissonne en pensant aux écoles bourrées d’enfants confiants que de
telles émissions malfaisantes À l’heure où la dénonciation de la pédophilie est à la mode, PLPL frissonne en pensant aux écoles bourrées d’enfants confiants que de telles émissions malfaisantes tripotent dans la tête. Car Triple-Crème et son invité mentent. « Casser les anticipations inflationnistes » ? Lors de la dernière année de Raymond à Matignon (1980), les prix avaient augmenté de 12,7 %, (dont 16,4 % pour EDF, 18,3 % pour les transports urbains, 24,8 % pour GDF). Résultats « favorables » en matière d’emploi ? En quatre ans, le barrisme fait passer le chômage de 929 000 à 1 831 000 victimes. Quant au commerce extérieur « stimulé fortement », son déficit a bondi de 23 milliards à 62 milliards de francs sous l’impulsion pachydermique du Premier ministre. D’ailleurs, « les gens » eurent tellement « confiance » en Barre qu’ils l’expulsèrent de Matignon en 1981… Le 18 janvier, pour évoquer « l’époque gauchiste », Colombani a eu une idée de génie : interroger un « étudiant de vingt ans en Mai 1968 ». Il s’agit donc de… BHL, Laisse d’Or de PLPL, éditorialiste associé au Monde (comme Adler) et critique agenouillé des livres les plus ratés de Raminagrobis [ndlr : Jean-Marie Colombani] et du Roi du téléachat [ndlr : Edwy Plenel]. Assis sur un coin de divan encombré de coussins, chemise en soie et poil gominé, c’est avec une voix pénétrée que BHL raconte la révolution. Colombani boit ses paroles. Pour lui, « BHL, il a raison tout le temps. Si on le prend comme la figure de l’intellectuel en France, lui il ne s’est jamais trompé. Il a toujours épousé des justes causes alors que d’autres avaient dérivé vers le maoïsme, vers des causes qui tendaient à faire l’apologie de la violence 7 ». Edwy Plenel sur l’affaire Greenpeace : « Je fais un article bourré d’erreurs, bourré de bêtises, qui vaudra des droits de réponse, qui évoque des pistes qui étaient fausses… » Pendant que Ramina dodeline de bonheur, BHL, grand ami de Pinault, de Lagardère et de Dominique Strauss-Kahn, résume ainsi l’« apport du gauchisme » : « Consensus sur les droits de l’homme, idéal démocratique. » Une fois que ses dirigeants avaient compris que « quand on va au bout d’une révolution on débouche sur l’horreur et la barbarie extrême, le gauchisme a été à l’origine d’un formidable courant réformiste ». Bref, le mérite du gauchisme, ce serait, selon BHL, conseiller intellectuel de Robert Hue [lire p. 2], d’avoir assuré la victoire de la sauvagerie capitaliste. Mais le clou du spectacle – et de l’histoire de la Cinquième République – c’est le Roi du téléachat. En effet, pour évoquer « l’affaire Greenpeace », Edwy Plenel a consenti, le 15 février, à répondre aux questions de Raminagrobis. La première : « Edwy Plenel, vous étiez journaliste au Monde à l’époque. Comment en venez-vous à traiter de ce sujet ? » On imagine l’impatience presque frénétique avec laquelle le directeur du Monde guette la réponse du directeur de la rédaction du Monde… Sans doute encouragé par l’éclat de sa belle cravate rouge à papillons jaunes, Edwy, digne fils spirituel de Pierre Bellemarre, démarre au quart de tour : « C’est comme un jeu. On me demande en catastrophe de me mettre sur cette affaire. Je fais un article bourré d’erreurs, bourré de bêtises, qui vaudra des droits de réponse, qui évoque des pistes qui étaient fausses. » « Informé » par une source « qui buvait beaucoup de whisky » et fier de son scoop « bourré d’erreurs, bourré de bêtises » (qui lui vaudra, outre « des droits de réponse », une réputation de journaliste d’« investigation »…), Edwy gesticule devant les caméras de la Cinquième. Car il doit maintenir éveillé un Colombani qui, sans doute parce qu’il connaît son Plenel par cœur, se laisse aller à l’assoupissement barriste. Mais le RTA (Roi du téléachat) a du métier, surtout quand il démarche son produit préféré, lui-même. Raminagrobis ne s’endort pas. Et la Cinquième (République) fut sauvée. Bientôt, des professeurs d’histoire, sensibles à l’estampille d’une chaîne éducative, utiliseront la série de Ramina et Triple-Crème pour enseigner à leurs élèves le plan Barre, Mai 1968 ou l’affaire Greenpeace… Puis ils leur recommanderont les émissions d’Arte ou de La Cinquième dénonçant la propagande totalitaire et le bourrage de crâne des enfants.
1.
Le Monde, 25.08.1998.
|
||||||||
Mise en ouaibe ec & mg Le Mhm |